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Atelier d'écriture

22 février 2006

Week-en (fin)

. Il prit une profonde respiration, se dirigea vers la plus proche station de taxis, grimpa dans le premier venu. Vers l’est, le ciel s’éclaircissait sans un nuage.

-          Je vais à Newark. Vous croyez qu’on y sera avant huit heures ?

-          Il est sept heures moins le quart, dit le chauffeur avec un fort accent russe. C’est trop de temps.   

Le taxi démarra, tourna à droite dans Joe Dimago puis stoppa, bloqué par un embouteillage.

-          Je  passe par petites rues.

-          Je vous donne trente dollars de plus si on arrive à temps.

-          Ok., Trente

Dans un crissement de pneus, l’homme fit demi-tour, franchit la bande centrale, remonta Joe Dimago, tourna à gauche puis à droite s’engouffra dans une rue étroite jusqu’à la bretelle de New Jersey Turnpike, traversa hudson-river par holland-tunnel.

-          Vous roulez trop vite, vous aller vous faire arrêter par les flics.

-          Arriver dans dix minutes. Ca va ?. Shit ! Pas possible par là. Bouchon. Je passe par park.

L’homme quitta la voie rapide, contourna  Hamilton park, roula sur Jersey avenue, lorsqu’une voiture de police les dépassa, gyrophares allumés et sirènes hurlantes, leur  fit une queue de poisson. Le chauffeur russe pila. Ted fut projeté vers l’avant, se cognat le nez une fois de plus.

-          Vous êtes dangereux mon vieux Vous conduisez comme un dingue !

-          Non comme un moscovite !

Trois policiers surgirent. Le plus jeune dégaina son arme de service, braqua Ted en lui intiment l’ordre de descendre les mains sur la tête puis d’écarter les jambes, enfin entreprit la lecture des droits à une vitesse ahurissante. Ted se retourna, chercha à faire comprendre qu’il n’était que le client. Le jeune policier s’énerva.

-          Ne bougez pas ou je fais feu.

-          Je ne bouge pas, je ne bouge pas répéta Ted les bras en l’air et la peur au ventre.

Quelques curieux observaient la scène avec autant de stupéfaction que d’intérêt. Une seconde voiture de police arriva sur les lieux. Deux policiers en sortirent. Le jeune policier était un stagiaire de l’école de police, montrait un peu trop de zèle face à ces supérieurs visiblement très  embarrassés par ses débordements.

-          Chef, que fait-on maintenant !

-          Maîtrisez-vous mon vieux. Nous ne sommes pas à Dallas ici.

Le jeune policier recula tout en continuant de braquée Ted.

-          Oui chef. Mais ce type c’est bien un enculé de première.

-          Harry ! Ce n’est qu’un client.

Le capitaine s’approcha de lui puis calmement abaissa le bras du jeune homme en prenant mille précautions pour éviter le drame.

-          Rangez cette arme mon petit gars ! Ce ne sont pas les types qu’on recherche.

L’officier de police se retourna vers Ted.

-          Désolé Monsieur. On est un peu nerveux ces dernières semaines. On recherche des drogués qui volent des taxis et qui s’en servent comme bélier pour faire leurs casses. Ils n’hésitent pas à nous tirer dessus. La semaine dernière, un de nos agents s’est fait descendre. Encore toutes nos excuses. Vous pouvez partir Monsieur.

-          Où je peux trouver un taxi dans ce quartier ?

-          Vous avez une station à moins de cinquante mètres d’ici en remontant Montgomery Street.

Ted ne se fit pas prier, empoigna sa sacoche, fit quelques pas jusqu’au carrefour, tourna à droite, se dirigea vers l’unique taxi en stationnement.

-          A l’aéroport de Newark, s’il vous plait !

-          Pas libre ! J’attends une cliente.

-          Une cliente ? Mais je suis pressé. J’ai à peine une demie heure pour prendre mon avion.

-          Désolé M’sieur mais je ne suis pas libre. A moins que la cliente accepte de vous prendre avec elle, alors là moi je m’en contre balance. Pour l’instant vous attendez.

-          Ok , merci dit Ted en ouvrant la portière.

-          Eh, je vous ai dit que vous attendiez mais dehors ! Il faudra d’abord demander à ma cliente si elle accepte.

-          Ok ! ok ! Excusez-moi ! J’attends là. Ça vous va comme ça, dit Ted vexé d’être éconduit ?

-          Ben oui ! Vous avez de ces questions à la con dit le type du taxi en haussant les épaules.

Le jour était bien levé. Un avion passa dans un ciel bleu azuré. Encore une belle journée qui s’annonce se dit Ted. Il était crevé, avait sommeil. Plus que cinq heure pour retrouver Chris….

Une bonne minute s’écoula qui lui parut une éternité. Inquiet, Ted se rapprocha du chauffeur.

-          Vous pensez qu’elle va arriver cette cliente ?

-          J’espère. Si à moins l’quart elle n’est pas là, j’vous embarque.

-          Mais si on attends moins le quart, c’est sûr, je ratte l’avion.

-          Vous prendrez le suivant.

-          Le suivant, vous en avez de bonnes, c’est que…

Ted n’insista pas, le chauffeur retourna à ses mots croisés. Ted patienta appuyé contre un lampadaire.

-«  Si j’appelle Chri maintenant je vais peut-être la réveiller….. Quatre heures de décalage….. Elle devrait faire attention quand elle m’appelle. Elle m’a réveillé plusieurs fois en pleine nuit  pour me parler des malheurs de sa  mère dont je me fout royalement….. J’ai une belle-mère très belle pour ses quarante huit ans mais ce qu’elle peut être chiante et qu’elle allumeuse avec sa manière de me coller ses nichons sous le nez et d’envoyer des œillades à la première paire de couilles qui passe dans la rue… Elle ne se gêne pas pour se balader à poil dans sa maison quand on est là. C’est gênant !…. C’est vrai qu’elle est bien foutu cette conne, conne et chiante avec son mari ! Le pauvre Davitt, il se fait toujours enguirlander pour des riens ….   Chris m’a dit un jour que sa la maladie l’avait rendu impuissant…. Il doit porter des cornes longues la cinquième avenue… Elle a du le tromper un nombre incalculable de fois. D’ailleurs, on n'en parle jamais avec Chris, ça la rend malade de savoir son père dans cet état.  Il commence à sucrer sérieusement les fraises. Il perd la tête.. Le pauvre. Cocu et malade ! Il ne devrait pas faire de vieux os …Ils ont presque trente ans d’écart… Il pourrait facilement  passer pour son grand-père .. Elle est si jeune à peine vingt ans ! Mince !. Je ne voudrais pas qu’on devienne comme eux. Chris ressemble tellement à sa mère parfois…J’ai faim, j’ai très faim et il faut que j’aille pisser… Et puis ils ont voté pour Bush. J’aurai du voter l’année dernière….. Je n’ai jamais voté de ma vie. C’est bête…. Je devrais m’intéresser davantage à la politique…. C’est inouï tout ce que je dois faire en rentrant… »

-          Tenez, la voilà la cliente. Ouahhh Canon la meuf  ! Vous avez vu  ça?

-          Oui, oui !  Vous croyez qu’elle va accepter de me prendre ?

-          Dans son lit ou dans le taxi ? 

Ted ne répondit pas à l’allusion oiseuse, se rembrunit un peu.  La cliente se dirigea droit sur lui.

-          Mettez ma valise dans le coffre,  dit-elle en s’adressant à Ted.

-          Euh, oui ? Bien sûr. Elle pèse une tonne votre valise. Qu’est-ce qu’il y a dedans ?

-          Des livres ! 

-          Des livres, repris Ted ! Pour quoi faire ?

-          Vous êtes bien curieux. Filons, je suis en retard.

-          C’est moi le chauffeur, pas lui, dit le propriétaire du taxi en faisant démarrer son moteur.

-          Oh, pardonnez-moi ! Désolée ! Je pensais que Je suis une idiote. Merci quand même pour la valise.

-          Je.. je voulais vous demander si vous accepteriez de partager la course avec moi ? Je vais à l’aéroport et je suis aussi très en retard.

La femme eut un court instant d’hésitation.

-          Ok ! On partage les frais. ça vous va ?

-          D’accord,  mais c’est moi qui paye la course, répondit-Ted.

Assailli par un excès de galanterie désuète, Ted lui ouvrit la portière. Elle s’en rendit compte, s’en amusa.

-          Y faudrait quand même pas qu’on parte à midi, fit remarque le chauffeur avec  son fort accent d’Atlantic City.

Ted monta à droite du conducteur. Le taxi emprunta la voie rapide A l’arrière, la cliente sortit une cigarette.

-          Désolé m’dame ! J’supporte pas la fumée. Remarquez que ça ne m’empêche pas de tousser dit-il en rigolant de sa mauvaise plaisanterie.

Ted pouvait apercevoir la passagère dans le rétroviseur. Elle se remaquillait, essayait de cacher des cernes. Elle semblait avoir pleuré tant ses yeux étaient rouge. Elle parlait un peu du nez.

-          On y est dans moins de dix minutes. Vous aurez votre avion. 

Le chauffeur se mit à fredonner un air de chez lui. Ted observait la passagère avec insistance, s’interrogeait sur son prénom, la trouvait séduisante. Elle avait un visage aux traits d’une grande régularité. Ses cheveux bruns épais et  noirs de geai accentuaient la blancheur ivoire de sa peau et son petit nez pincé la faisait passer pour une Européenne.

-          A quel terminal allez-vous, dit le chauffeur ?

-          Je prends l’avion de 8h45 ? C’est au terminal C.

-          Moi aussi je prends un avion qui décolle à la même heure. On va peut-être au même endroit, se hasarda-t-il à dire. Je vais à San-Francisco et vous ?

La jeune femme ne répondit pas. Peut-être avait-elle peur de se coltiner l’inconnu durant tout le voyage.

-          J’le sait que c’est au terminal C répondit le chauffeur. Presque tous les matins j’embarque quelqu’un pour San Francisco. Je connais cet avion depuis plus de dix ans que j’fais s’boulot.

Il était presque huit heure quand le taxi s’arrêta. La cliente descendit la première, héla un porteur, alluma une cigarette, se pencha vers eux.

-          Merci pour la course. Je vais…..…

Ted n’entendit pas la fin de la phrase assourdi par les rugissements des réacteurs d’un jet qui décolla au-dessus de leurs têtes . Elle disparut dans la foule.   

-          C’est pas une femme pour vous une nana pareille. Vous avez vu ses jambes. Non, mon vieux. Vous pouvez aller vous astiquer le poireau en pensant seulement à elle. C’est tout ce qu’elle peut vous accorder.

-          Mais enfin, Monsieur. Je ne vous permets pas. Aller vous l’astiquez-vous même votre poireau répondit Ted furieux de se faire insulter par ce rustre.

-          C’était pas méchant c’que j’disais. Les nanas sont sensibles à la gentillesse plus qu’à la beauté ? Vous avez une petite chance avec votre tête de gamin et vos yeux de merlan frit mort d’amour. J’vous ferai remarquer que vous m’devez cinquante-cinq dollars.

-          Quoi ! Cinquante-cinq ! mais vous êtes très cher .

-          Tarif de nuit mon pote.

-          Il faut que j’aille tirer du liquide, Je ne les ai pas sur moi

-          Pas question de me planter là.

-          JE vous dis que je n’ai pas vos cinquante dollars. Je vais en tirer au premier distributeur du coin et je reviens tout de suite. Vous avez ma parole

-          Et vous pensez que votre parole me suffira à vous croire.  On m’la déjà faite celle là. Si vous allongez pas la tune dans les dix secondes j’appelle le poulet d’en face. Il a pas l’air sympa le keuf.

-          Mais Monsieur ! Je ne vais pas vous voler, dit Ted.

-          Des gars qui me disent qui reviennent et qui reviennent jamais, j’pourrai en pondre un par jour. Alors la confiance et la parole je m’en bas les cacahuètes.

Ted perdait patience. Sans trop réfléchir il sortit son PC

-          Tenez, prenez-le en guise de caution. Il vaut  cent fois le prix de la course. Comme cela ça vous va  ?

-          Ok, c’est réglo.

Ted abandonna chauffeur et ordinateur, se dirigea vers le premier distributeur, vexé qu’on ait pu le prendre pour un voleur, tira cent dollars, ressortit du hall puis, inquiet, chercha le taxi mais en vain. L’autre avait filé.

-          C’est dégueulasse. le taxi, mon PC ! 

Par dépit et furieux de s’être fait avoir comme un débutant, Ted jeta un coup de pied dans une vitrine. Immédiatement, une alarme retentit. Le policier de faction accouru.

-          C’est vous qui avez fait cela ?.

-          Non Monsieur l’agent. J’ai seulement , enfin si, mon pied a heurté la vitrine et...

-          Comme ça tout seul. Vous me prenez pour un imbécile ? Présentez une pièce d’identité et votre billet d’embarquement.

Ted fouilla dans ses poches, ne trouva pas sa réservation

-          C’est que …je. J’ai du l’oublié dans le taxi.

-          Alors, vous ne partez pas.

Un grand accablement submergea Ted. Il était incapable de fournir une explication convenable à ce flic qui allait lui faire rater le vol. D’ailleurs, il se sentait si épuisé qu’il avait quelques difficultés à parler.

-          Vous n’avez pas de pièce d’identité, pas de billet et vous vous attaquer au bien public. C’est beaucoup trop Monsieur ! Je vais vous demander de me suivre sans faire d’histoire. Vous irez calmer vos nerfs quelques heures au bureau central le temps de vérifier vos dires.

Résigné, Ted obtempéra sans révolte quand il entendit quelqu’un le héler.   

-          Hé ! Monsieur, j’ai votre billet. Tenez. Je l’ai trouvé sur la banquette arrière et comme nous étions très en retard j’en ai profiter pour vous enregistrer avec moi. Dépéchez-vous, on décolle dans dix minutes. Mais, pourquoi cet agent de police ? Vous avez fait quelque chose de mal ?

Ted avait sa tête des mauvais jours. Il fournit une courte explication.

-          Le taxi est parti avec mon portable et ma sacoche, je n’ai que ma carte bancaire sur moi. Je dois aller au commissariat de police pour tapage sur la voie publique et dégradation de biens d’autrui. Au moins, je pourrai peut-être dormir un peu.

-          Vous connaissez cet homme ? intervint le policier

-          Un peu, oui nous voyageons ensembles, répondit-elle.

-          Vous pouvez le prouver ?

-          Tenez Monsieur l’officier.

-          Oui, c’est correct. Aller, je ne vais pas mettre des battons dans les roues. C’est bon pour aujourd’hui, mais la prochaine fois maîtrisez vos nerfs Monsieur. Vous pouvez me donner le numéro minéralogique de ce taxi ?

-          Je n’ai pas fait attention de toute manière je ne porte pas plainte. Ce n’est pas la peine. On ne le retrouvera jamais. Merci, merci encore. Je, je..

Ted aurait embrassé ce policier pour une fois qu’il tombait sur un type intelligent et compréhensif. C’était peut-être sa chance après tous ces contre-temps.

-          Merci de m’avoir retrouvé. Sans vous je ne partais pas.

-          Dépêchez-vous. On en reparlera plus tard, vite !

Ils coururent vers la porte 26. le guichet était fermé, l’embarquement venait juste de finir.

-          C’est à cause de ce taxi. Quelle poisse !

-          C’est vrai. Quel escroc ce type.

-          Il faut que je prévienne ma femme. Elle va avoir du mal à avaler mes explications.

-          Pourquoi ?

-          Elle est jalouse.

-          De qui, de moi ?

-          Non, elle ne sait pas que …

Ils traversèrent le Hall, vinrent s’assoire à un bar.

-          Je peux vous poser une question ? Quand nous étions dans ce taxi vous n’aviez cessé de me dévisager ?

-          Je ne vous dévisageai pas. Enfin je vous regardais, c’est vrai.

-          Vous me regardiez seulement ?

-          Et bien, oui.  Ce n’est pas interdit. C’est parce que je,….  je vous trouvais belle, voilà,  lâcha-t-il par dépit.

-          Pour quelqu’un de timide vous êtes plutôt franc.

-          Désolé, je n’aurai jamais du vous dire cela.

-          Il n’y a pas vraiment d’offense. C’est même agréable.

Puis changeant de conversation,

-          Vous avez la tête d’un type qui a fait la noce toute la nuit.

-          C’est pas exactement de noce qu’il s’agit, mais ce serait un peu long à vous expliquer.

-          Nous avons le temps. Nous avons deux heures à perdre ! Et puis ça me changera les idées. J’ai le moral à zéro.

-          A cause de l’avion manqué ?

-          Non ! La journée d’hier a été pénible, répondit Mélissa les yeux pleins de larmes.

-          Désolé, je ne voulais pas vous ennuyer. Cela ne me regarde pas. On se connaît si peu !

-          On ne se connaissait pas avant de nous rencontrer.

Ted trouva la remarque aussi redoutable qu’ambiguë. Il lui répondit par un sourire timide Mélissa le lui rendit magnifiquement. Discrètement mais sûrement elle gagnait le cœur de Ted. 

-          Vous avez une blessure sur le nez.

-          Ce n’est rien.

-          Donc, si j’ai bien compris, vous étiez complètement saoul hier soir et en sortant du bar  vous avez voulu embrasser un réverbère sans lui demander son avis. Vous l’avez certainement offenser ?

-          C’est vrai, on ne peut pas plaire à tout le monde, même à l’éclairage public !

Répliqua Ted en s’amusant de la tournure que prenait leur conversation.  Du même coup l’atmosphère se détendit puis suivie par un silence presque gênant qui  s’installait entre eux. La  situation embarrassa Ted qui chercha à combler au plus vite le silence.

-          Euh ! Il va falloir que j’appelle ma femme.

-          C’est trop tôt. Vous allez la réveiller Il n’est pas cinq heures là-bas.

-          Ah , oui, où ai-je la tête ? La blessure ! Il faut que je vous raconte la nuit que j’ai passée.

-          N’omettez aucun détail, aussi croustillant soit-il.

-          Vous allez être déçue. Hier soir, en quittant la boite, je me suis retrouvé coincé dans un escalier de service désaffecté. J’étais enfermé sans comprendre comment ça à pu m’arriver. J’ai bien essayé d’en sortir mais toutes les portes étaient verrouillées. J’ai descendu puis remonter les cent-quinze étages de la tour. J’étais épuisé et je me suis endormi assis sur une marche.   

-          Vous devez être épuisé !

-          Un peu. C’est un vigile qui m’a réveillé. Il m’a pris pour un voleur ou je ne sais quoi. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait et puis il m’a frappé, comme ça pour rien. Quel pauvre type. Mais pourquoi je vous raconte ça. Cela n’a aucun  intérêt.

-          C’est vous qui le dites. Et bien sûr vous lui avez répondu en lui flanquant votre poing dans la figure.

-          Non  ! Non, Je ne suis pas du genre à me battre. J’avais peur de ses réactions. Il me braquait avec un flingue.

En racontant ses mésaventures, Ted se sentit comme happé par le charme que dégageait cette femme et face à cela il ne pouvait pas lutter. Quand à Mélissa, elle lisait à livre ouvert dans les pensées de Ted. Elle en ressentit un réel plaisir et une certaine satisfaction. Plaire à un homme au lendemain d’une tragédie conjugale et sentimentale lui était d’un grand réconfort. Mélissa usa de ses charmes, ce qui précipita Ted dans les affres cornéliennes d’une relation extraconjugale dont il n’était pas maître et qui, de minute en minute, se faisait plus précise.

-          Le garçon aura oubliés nos cafés dit évasivement Mélissa !

-          Oui, il les a oubliés, rétorqua banalement Ted. Je vais le rappeler.

Quand un appel retentit dans l’aérogare invitant les derniers passagers du vol UA93 à se présenter au guichet 23 ».

-          Ils réouvrent ! Laissons tomber les cafés, venez vite, on a peut-être une chance d’embarquer s’écria Mélissa.

Elle le prit par la main, coururent vers le guichet 23, présentèrent leur billets d’embarquement, réussirent à passer. Dans le couloir qui menait à l’avion, Mélissa se rapprocha de Ted pour lui donner le bras. Ted tressaillit davantage, passa ses doigts sur ses joues rappeuses pour ce redonner une contenance.

-          Chenail ! Ce n’est pas un nom américain. Qu’elle sont vos origines ?

-          Française.

-          Et vous parlez français lui demanda Melissa en très bon français ?

-          Couci-couça. Répondit Ted avec l’accent yankee. J’en ai fait quatre ans au collège.

-          Et vous avez tout oublié. Êtes-vous déjà aller en France ?

-          Oui, répondit-il embarrassé.

-          Et où êtes-vous allé ?

Ted n’avait jamais mis les pieds en Europe, ne répondit pas à la question très embarrassé par son stupide mensonge.

-          Nous serons assis l’un à côté de l’autre dans l’avion. Je suis heureuse de vous avoir rencontrée et j’ai très faim. Pas vous ? On parlera de la France . C’est un petit pays mais c’est si «  charmant »

-          Oui.

-          Vous êtes un garçon curieux. Vous m’avez fait le plus beau compliment qu’une femme peut espérer entendre et vous restez là timide comme un collégien, campé sur votre réserve. Pourtant, on dit que vous êtes tous d’horribles dragueurs à New York. Vous ne m’avez pas même demandé mon prénom. Vous ne voulez pas savoir comment le m’appelle ?

-          Si, bien sûr, dit Ted le cœur dans un état de décomposition avancée.

-          Melissa Clauss. J’ai quarante ans. Je rentre chez moi à San-Francisco. Je suis brodeuse dans une maison de couture et je ne suis plus mariée depuis hier après-midi, d’où ce voyage. Mon ex-mari habite New-York, travail au World Trade Center comme vous. C’est un vrai salaud. Je vous ai rencontré ce matin. Il me semble que le goût de vivre revient grâce à vous.

Transformer en chamallow ramolli au barbecue, Ted sentit ses jambes l’abandonner. Ils embarquèrent les derniers.

Le vol UA93 s’écrasa en Pennsylvanie à 10h03, tuant 44 personnes et les membres d’équipage après que certains passagers se sont battus avec les pirates de l’air. Ted ne compris pas la revendication de ces hommes armés seulement de cutter et de petits de scout. Les pirates les avaient cantonnés au fond de l’appareil. Ted protégea Mélissa jusqu’au dernier instant. Une effroyable explosion désintégra l’appareil. 

América était arrivée vers sept heures prendre son service. La société qui l’embauchait lui avait préparé sa lettre de licenciement. Le revoie immédiat pour motif d’insuffisances professionnelles. Humiliée, vexée, en pleure, América rentra chez elle par le train de huit heures, furieuse d’avoir perdu son job et très contrariée par la poisse qui ne la quittait pas depuis son arrivée au New Jersey. A neuf heures quarante cinq, le premier avion de ligne percuta la tour nord entre le quatre-vingt-dixième et le centième étage. Ce matin là Charles Burger était arrivé de très bon heure. Une heure trente après, Charles sortait du WTC contusionné et très choqué. Il eut à peine le temps nécessaire pour échapper à la mort. Actuellement il souffre de bronchite chronique et de cauchemars récurrents qui le réveillent chaque nuit. Chris a accouché prématurément d’un petit garçon qui se porte bien aujourd’hui. Il porte le nom de son père.   

FIN

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22 février 2006

Week-end suite 2

Ted stoppa sa progression, eut envie de soulager sa vessie, poussa une porte puis une autre toutes verrouillées, réussit à en ouvrir une trois étages plus bas. Ted s’engagea sur un plateau inondé de lumière, une salle vide. Dans un coin s’entassaient un bric-à-brac étonnant de vieux bureaux, d’écrans au rebu, de vieux PC obsolètes, de cartons d’imprimante, d’essuie-mains en rouleau, d’autre en vrac prêts à être lavés, des centaines de rouleaux de papier hygiénique et toute sortes de produits pour l’entretien et petit chariots de femme de ménage.  Il ne vit aucune issue, pas de fenêtre, pas d’autre porte exceptée celle d’un monte-charge verrouillé elle aussi, pas de poste téléphonique d’où appeler, encore moins de toilettes indiquées. Il devenait urgent qu’il se soulage, l’impossibilité d’uriné décupla son envie qui devint insoutenable. Dans la précipitation, Ted ouvrit sa braguette et vida sa vessie dans une longue expiration de soulagement extatique.

-          « Que c’est bon de pisser. Mais que c’est bon ! dit-il la larme à l’œil »

Les humeurs s’infiltraient entre les dalles du faux planché. Le local était une ancienne salle d’ordinateurs du temps où il fallait des surfaces immenses pour abrité des machines qui  tiennent aujourd’hui dans une poche de veston. Il secoua énergiquement sa verge, l’ausculta précautionneusement, toujours à l’affût de la moindre petite rougeur qui lui aurait inquiété autant que navré et l’aurait empêché d’avoir des rapport avec Chris. Il remonta sa braguette,  quitta les lieux soulager. Il y avait toujours cette menace de sida. Il fallait qu’il attende quelques semaines pour que les tests soient significatifs. Sa conscience le minait. Comment allait expliquer à Chris l’obligation d’utiliser des préservatifs.   

Dix minutes plus tard, il descendait encore.

-          « Ce que j’ai faim !

Un panneau lui indiqua qu’il était dans un escalier technique sans issue,  condamné depuis les attentats de 93.

-          Merde ! Je me suis taper ça pour rien. 

Décourager, il s’assit sur une marche poussiéreuse, se demanda ce qu’il allait faire. Son estomac grondait, sa soif augmentait  C’était encore le pleine été à New-York,  trente degrés à onze heures du matin, une fin d’été particulièrement chaude. Il était trempé de suer, sa chemise collait à sa peau et son slip qu’il n’avait pas changé depuis l’avant veille l’irritait à l’entrejambe. Il faillait faire le chemin inverse et remonter.

-          « Courage mon vieux ! Montre tes ressources et ta condition physique…. J’ai une bonne centaine d’étages à me taper. On va dire qu’il me faut une seconde et demie par… Et puis merde. A quoi ça me sert de les compter tous ? »

Ted commença son ascension, moins enjoué qu’à la descente, avec un petit  fond de pensée pessimiste qui augmentait de minute en minute. Il se souvenait vaguement de cet attentat à la bombe. Il était encore étudiant, ne savait plus très bien si c’était des musulmans ou des communistes qui avaient fait le coup. Il n’en comprenait pas vraiment le sens. Pour quelle raison ces fous s’attaquaient à son pays alors que l’Amérique faisait tout pour maintenir la paix dans le monde. Une démocratie qui s’érigeait en modèle de liberté et d’égalité. Il y avait bien eu le Vietnam, mais c’était une guerre justifié, Ted en était convaincu. Elle voulait sauver les Vietnamiens du sud des envahisseurs du nord, là non plus il ne s’en souvenait plus. C’était si loin.

-          « Tiens,  le local où j’ai pissé tout à l’heure, dit Ted en passant devant la porte restée ouverte».

-          «  un, deux, trois .. Ted pensa à autre chose ».

Les étages passaient avec une monotonie à l’image du lieu. Une ascension pénible, éreintante. - « Qu’elle heure est-il ?… Onze heure peut-être plus, je ne sais plus. Chris a du m’appeler. Qu’est-ce que je vais lui dire ? Que va-t-elle penser ?… Elle qui est si jalouse…. Elle ne voudra jamais croire à cette histoire d’ascenseur en panne et d’escaliers sans fin….

- « Mais pourquoi spécialement aujourd’hui, le jour où j’en ai le plus besoin, faut-il que j’oublie de recharger mon mobile ? ….Papa et Maman sont si heureux de ce petit bébé qui va naître..  Je vais être papa. Quel bonheur ! Moi qui croyait que je ne pouvais pas avoir de gosse !..Elle pense systématiquement que je la trompe avec d’autre femmes que je pourrai rencontrer au bureau….. C’est vrai que je les regard mais elle exagère tout…..

Soixante-dixième étage.

-          «   Il faut que Charles me passe les spécifications du programme de calcul des taux et capitalisations.  Je devrais me grouiller davantage ? Je n’ai pas pondu une seule ligne de code depuis la fin août. Si le patron apprend ça, il va être furieux. ….Ce que Chris peut être assommante parfois…Je suis méchant de penser cela, elle qui est si intelligente, si instruite mais aussi très excessive !….. Je suis sûr qu’elle n’hésiterait pas à me tuer si elle venait à apprendre qu’un jour je suis allé dans cette boite d’échangiste

-            J’ai les cuisses en compote .

Ted se dirigea vers une porte, s’appuya sur la barre d’ouverture qui résista. Il appuya plus fort, sans succès. Une peur panique l’envahie. Comme prévenir la sécurité, Chris, son chef ?

- « Bordel de bordel cette tour ! Jamais je vais pouvoir en sortir »

Il se jeta de toutes ses forces contre la porte qui ne céda pas, réitéra jusqu’à ce qu’une vive douleur à l’épaule droite le stoppe dans son élan. Découragé, Ted alla s’assoire

-          «  En supposant que je reste ici, je peux tenir au maximum 50 jours sans manger et peut-être 72 heures sans boire avant qu’on retrouve mon cadavre décharné et sec comme une vieille momie. Dommage, je vais laissant derrière moi une jeune veuve et son orphelin. Il faut que je sorte  immédiatement d’ici»

Ted se releva en jurant, s’épousseta le derrière, rit de cette précaution inutile puis se remit en marche en direction du sommet de la tour. Un autre quart d’heure s’écoula morne et pénible. Ted montait lentement, le moral un peu défait, les idées confuses et l’angoisse grandissante….

Le temps s’écoulait rythmé seulement par les battements de son cœur cognant de plus en plus forts et rapprochés. Il se trouva en mauvaise forme physique, s’essoufflait vite, trouvait l’exercice pénible, se dit qu’à son retour de week-end, il irait s’inscrire dans une salle de gym

-          « …Perdre dix kilos, non douze... »

Il se voyait, en tenue de sport moulant ses beaux pectoraux, le ventre marqueté de carrés de chocolat, plat comme celui de ces danseurs de shows télévisés entourés d’un florilège de filles au jambes interminables. Il se ravisa après avoir tâté les bourrelets superflus de son embonpoint naissant.

-          «  Qu’est-ce que j’ai comme bide ! Lundi matin je m’inscris et deux heures tous les jours, abdos, fessiers, nage sur le dos , squash….

Il ne put grimper plus haut, face à une porte close comme toutes les autres portes de ces d’escaliers. Découragé, il n’essaya même pas d’en actionner l’ouverture, s’adossa contre le battant, se laissa glisser lentement jusqu’au sol et se laissa aller, le vague à l’âme et les muscles endoloris. Un peu d’inquiétude s’installa. Ignore l’heure lui était tout simplement insupportable. Il perdait ses repaires. Il sentit la fraîcheur de l’air lui tomber sur les épaules.

-          « Un bon grand bol de café chaud avec une belle part de tarte aux pommes à la cannelle, quel régal…….. J’ai faim !…….  ça pue la poussière ici.. »

Ted se recroquevilla, resta un long moment mi-éveillé, mi-endormi puis sombra dans un sommeil agité de rêves stupides et de cauchemars pénibles

Deux heures plus tard.

-          Eh !  Qu’est que c’est que ce type qui dort ici ?

Ted bondit sur ses jambes.

-          Enfin ! Vous arrivez dit-il en s’approchant du gardien. Quelle heure est-il ?

Le gardien sortit son arme de poing, le braqua.

-          Ne bouge pas, allonge toi. Ne bouge pas vieux.

L’homme était du genre « cerveau étriqué par un excès d’hormones mâles au quotient intellectuel à peine plus évolué que celui d’un taureau en pleine reproduction de l’espèce bovine. Le genre de type à se priver de tout pour payer les traites de son énorme 4x4x  Dodge.  Le vigil prit sa radio, appela son PC.

-          Chef, j’ai un dôle de type qui roupille au palier 115. Qu’est-ce que je fais ?

La transmission était mauvaise, les réponses entrecoupées de parasites.

-          …voleur ?

-          J’en sais rien si c’est un voleur .

L’homme se retourna vers Ted

-          Le chef demande si tu es un voleur.

-          Je suis informaticien chez Scott and Cost, 58ième de la tour nord. Je me suis fait enfermer dans cet escalier de service. Je suis épuisé. Accompagnez moi jusqu’à la sortie et dites moi l’heure qu’il est, s’il vous plait ?

-          Qu’est-ce que ça peut te foutre l’heure qu’il est ? Ca change tout le temps !

-          Mais, je ne ..

-          Ta gueule. Tends tes mains.

-          Que je tende mes mains ! Pour quoi faire ?

-          Tends-les bordel !

-          Mais je vous dis que je travail ici, au Word Trade Center,  chez Scott and Cost, dit Ted en s’approchant du type.

Sans prévenir, le vigil frappa Ted du plat de son arme, en pleine figure. Ted s’écroula à terre. Du sang  coulait de son nez.

-          Mais qu’est-ce qui vous prend. Vous êtes cinglé ?

-          Chef, le type résiste qu’est-ce que je fais ?

-          Descends-le…,

-          Quoi ? Tu veux que je le flingue ?

-          Non idiot, .ramène le au… J’app….les flics.

-          T’es pas obligé de parler si fort. Merde !

Le garde rangea sa radio.

-          Lève-toi connard, tends tes mains bordel, ce que tu peux être lent à comprendre.

Ted avait les mains pleines de sang, se protégeait le visage par peur de recevoir un autre coup. Son nez saignait. De nouveau, la CB du vigil crachota. L’homme du poste de surveillance appelait. La communication était  meilleure, Ted entendit tout de l’échange

-          Franck, Arrête. Est-ce que tu as demandé à ce type de présenter son Badge ?

-          Non ! J’en sais rien s’il a un badge.

-          T’es vraiment un enfoiré. C’est la première chose que tu dois faire.

-          T’as un badge ?

-          Tenez, répondit Ted en lui plaçant rageusement sa carte professionnelle sous le nez.

-          S’il a le numéro 2496, alors tu vas avoir de sérieux emmerdes. Tu pourrais être moins violent.

Le vigil changea de couleur, passa du rouge pivoine au blême verdâtre, , rengaina son arme et se confondit en excuses.

-          Je vous demande pardon Monsieur.

-          Vous allez me le payer.

Le vigil baissa la tête, déverrouilla la porte d’accès, invita Ted à prendre l’ascenseur,

-          Soyez gentil, M’sieur. Si vous portez plainte, je me fais virer sur le champs.

-          Ca vous apprendra, espèce de brute? Vous m’avez insulté et fait très mal. Vous n’êtes qu’un sinistre crétin..

-          J’savais pas. J’ai des gosses et des dettes par-dessus la tête. S’il vous plait M’sieur Chevail.

-          Dites moi l’heure qu’il est au lieu de vous pisser dessus de lamentations.

-          Cinq heure moins le quart.

Les portes s’ouvrirent au niveau zéro. Il faisait encore nuit. Ted alla droit à la fontaine, bu plusieurs longues rasades d’eau. Jamais l’eau plate ne lui avait parue si bonne, si douce. Il redressa la tête, ne vit plus le gardien. Epuisé, fatigué, affamé, Ted alla s’assoire et faire le point puis s’endormit comme une masse, la sacoche contre le ventre.

Deux petites heures s’écoulèrent quand une équipe de nettoyage le réveilla.

-          Monsieur, réveillez-vous. Personne n’est encore arrivé à cette heure.

-          Qu’est-ce que je fais ici, dit-il tout ensommeillé

-          Bientôt sept heure  Monsieur. Vous attendez peut-être quelqu’un ?

-          Non ! Je dois prendre l’avion.

Ted s’excusa, se redressa.

-          Où sont les toilettes ?

-          Au fond à droite.

Ted s’y rendit, fit un brin de toilette, sortit précipitamment de l’immeuble. L’air était léger et agréable en ce petit matin de septembre. Il avait envie d’un café accompagné d’un délicieux hamburger fondant et chaud.

Je prendrai un super breakfast dans l’avion

22 février 2006

Week-en -suite 1

Soulager et heureux, Ted renoua avec la vie, animé par le bel allant de sa jeunesse. Il était joyeux en cette fin de journée très estivale quant América Martinez fit irruption dans son bureau. Ted revint brutalement à la réalité.

-          Bonsoir Monsieur Ted !

-          Ah ! Bonsoir, América. Il est déjà dix-neuf heures ? 

-          C’est vrai ! C’est l’heure qué vous dites. Yé range vot’bureau. Partez, vous aller ratez votre train.

-          Merci. Vous savez que demain matin je rejoins Chris. Elle passe quelques temps chez ses parents à San Francisco.

-          Elle va bien et le bébé ?  AH ! San Francisco ! C’est la ville des Maricốns, dit-elle en réprimant un petit rire sous cape.

-          Vous voulez parler des gays ?

América changea de sujet de conversation. 

-          C’est très bien la famille et pouis votre dame elle peut se reposer. Elle fait pas la couisine ni le ménage  chez ses parents.

-          Elle ne fait jamais la cuisine, dit Ted. Elle ne sait pas cuisiner. C’est moi qui prépare les repas à la maison.

-          Et ça ne vous gêne de faire le travail de votre femme ?

-          Non ! Moi ça m’amuse et puis Chris a bien essayé ? C’était  immangeable !

-          C’est pas mon mari qui ferait la couisine chez moi. Lui, quand il rentre du boulot, il est fatigué. Alors il prend une bière et une assiette de haricots et il se colle devant sa télé puis il va se coucher sans se laver. Il sent mauvais comme les  blacks.

-          América ! Enfin ! Vous n’êtes pas un peu raciste.! 

-          Non qué yé né souis pas une raciste, répondit-elle en s’offusquant. Yé n’aime pas les blacks C’est tout !.

-          Pourtant, votre mari est noir. Vous me l’aviez dit une fois.

-          C’est vrai qu’il est noir, mais il n’est pas du sud ? C’est un black blanc. Ca fait plus de cent-vingt  ans qué sa famille elle vit au New-Jersey, dit-elle rouge de colère.

Ted trouva l’explication surprenante venant d’une immigrée.

América entreprit de vider la corbeille en marmonnant des mots que Ted ne comprenait pas, ramassa quelques boules de papiers que Ted avait jetées maladroitement à côté de la poubelle, renonça à faire la poussière sur son bureau tant il y avait de désordre.

-          Excusez-moi de vous avoir traité de raciste. Je ne voulais pas vous offenser.

-          Bah ! Ce n’est rien. C’est moi qui suis une vieille « mujer » susceptible.

Ted rassembla quelques affaires personnelles. Son retard s’aggravait et Chris allait appelé alors qu’il ne serait pas rentré chez eux. Elle ne l’appelait pas sur son mobile. Il se sentait parfois un piégé.

…. Il cliqua sur « Arrêt », déplaça un ou deux dossiers poussiéreux, dégrafa son col de chemise puis attrapa sa sacoche et sortit en saluant América. Quelques secondes plus tard, Ted refit  apparition.

-          Le billet ! Mon billet d’avion! J’ai oublié mon billet.

-          Où est-ce que vous l’avez posé votre billet Monsieur Ted ?

-          Nulle part. Il faut que je l’imprime. J’ai fait une réservation sur le Net. Quel con ! Mais quel  crétin  je fais !

-          Mais non Monsieur Ted. vous n’êtes pas tout cé qué vous dites.

Ted ralluma son ordinateur avec précipitation.

-          Que c’est long, que c’est long, dit-il au bout de trois secondes et demi d’une attente qui lui sembla interminable.

-          Ne vous énervez pas Monsieur Ted. C’est pas la faute de la machine!

S’entendre dire ce qu’il avait à faire par une femme de ménage quand bien même elle  avait raison était un peu vexant. «  Mais elle se fout de ma gueule la portos. Je le sais bien qu’il ne faut pas que je m’énerve ».

-          Vous devez penser que yé me paye votre gueule et qué yé souis une portos. dit-elle avec un petit sourire très amusé.

-          Non, non !  América.  Je n’oserai jamais vous traiter de portos? Je vous aime trop pour...

-          Vous m’aimez Monsieur Gédail ! Vous m’avez bien regardée ? yé du poil aux jambes et  yé pèse quatre-vingts  quinze kilos pour un mètre cinquante ? Vous êtes sûr dé cé qué vous dites?

-          Non ! Enfin. Pardon.  Je voulais simplement dire que je vous aime bien comme on aime un copain.

-          Ah vous mé tranquilissée! Alors yé souis votre copine, ça me fait beaucoup de plaisir..

-          Copine ! copine !:  Ce n’est pas exactement le terme qui…

-          Né fou fatiguez pas, dit-elle en réprimant un fou rire. Yé vous tarabuste un peu ! C’est drôle non  ?

América ria de plus belle. Ted ria aussi. Finalement il aimait bien cette femme. Elle l’amusait avec ses maladresses de langage et son accent qui écorchait chaque mot. Elle ne se plaignait jamais, était bavarde, trop bavarde peut-être et le travail n’avançait pas. Il était le seul dans le service à échanger quelques mots avec elle, à lui serrer la main en partant le soir. Quant à ses collègues, ils la saluaient à peine, comme s’ils avaient peur de se souiller à son contact. Ted les jugeait snobs, suffisants.

-          Ah voilà, j’y suis presque. Que c’est long. J’imprime et hop demain, à l’aube, je saute dans le premier avion et en route pour la Cote Ouest, dit-il tout guilleret..

-          Allez chercher votre billet, Monsieur Ted. Yé fermerai vot machine.

-          Vous savez comment faire ?

-          Bien sûr que yé sais. Mon fils fait une école d’ingénieur. Il me coûte une fortune mais yé voudrai qu’il travaille comme vous Monsieur Ted. Nous avons un PC à la maison. On est des étrangers mais on n’est pas des andouilles. Moi aussi yé m’en sert du PC, parfois, avec Internet pour envoyé des mail à mes sœurs restées au pays. Et quand la télé elle est mauvaise, yé joue à Spider.

-          Désolé, je l’ignorai.

-          Vous êtes comme tous les yankee. Vous ne connaissez que votre pays. Mais jé vous aime bien parce que vous êtes bien gentil avec moi. On voit bien qué vous êtes gentil à votre visage poupin.

Ted n’aimait pas qu’on lui dise qu’il était gentil et qu’il avait un visage de poupée.. Il a toujours détesté ça. Comme si c’était écrit sur son visage qu’il était gentil…

-          On crois rêver, Dit Ted entre ses dents.

-          A quoi vous rêvez Méssieur Chidaillès ?

-          Heu ! A rien. Si !  A tout le boulot qui m’attend la semaine prochaine.

-          Ne fous faites pas le sang mauvais. Pensez à votre petite femme qui vous attend là-bas. Yé croix qu’on se vois pour la dernière fois. Le chef de la tour, il m’a dit qué yé né travail pas assez parce qué yé parle trop et que yé suis virée demain.

-          Virée demain ! Quelle poisse.

-          La poisse, c’est quoi ?

-          La poisse ! C’est la guigne, la mauvaise fortune, la malédiction, s’écria Ted par pure taquinerie.

Ce qui n’était pas du goût d’América qui se signa, retourna à son ménage fort contrariée.

-          A discuter ça vous aller être très en retard Monsieur Ted !

Ted se hâta, se rendit au local imprimantes. Une seule fonctionnait pour l’ensemble du service, un gros document sortait. Contraint, Ted vint s’assoire dans un fauteuil, attendit que son papier s’édite, reprit le fil de ses pensées.

….Parfois Chris lui reprochait de se retourner sur les filles. Dans un sens elle n ‘avait pas tord. C’est vrai qu’il les regardait souvent les filles. C’était un besoin inévitable, presque obsessionnel. Il ne faisait rien de mal… Il affectionnait particulièrement celles qui avaient de grosse poitrines, un peu à l’image des starlettes hollywoodiennes, égéries des films de Russ Meyer, le cinéaste le plus mammophyle de la planète. Ted n'était pas le seul homme à avoir ce genre d’attirance. La plus part de ses collègues, ses copains et amis, tous ressentaient la même chose que lui dès qu’une paire de seins hors norme passait sous leurs yeux. D’ailleurs, Ted était convaincu qu’une femme qui a de beaux seins et de beaux yeux avait tout ce qu’il fallait pour réussir et qu’il était peut plus important que leur soutien-gorge soit bien rempli plustôt que leur curriculum vitae, certitude qui faisait hurler les femme en général et Chris en particulier…. Question seins, Chris n’avait rien à envier aux autres filles et Ted en fin connaisseur en savait quelque chose … Il y avait quelques filles au Word Trace Center qui avaient un profil de rêve. Des midinettes moulées dans leur tailleur Chanel aux boutons de veste prêts à rompre sous la pression explosive de leurs avant-scènes magnifiquement développés. Ted avait repéré une hôtesse asiatique qui travaillait à la réception. C’était une fille au sexe-appel affolant. Une Betty Boop aux yeux bridés, une véritable bombe sexuelle montée sur talons aiguilles genre pin-up qu’on accroche dans les vestiaires de foot et qui font fantasmer des générations de jeunes gens qu’un trop plein d’hormones mâles rend particulièrement intenables, une super nana à faire dresser des régiments de pénis dès lors qu’elle paraît dans les couloirs.

……..

Chris était le centre de sa vie et de ses préoccupations de mari et de futur père, même si la perspective d’une parenthèse extraconjugale avec cette hôtesse le démangeait souvent. Cette longue abstinence légitimait en quelque sorte un écart de conduite qui n’aurait pas de lendemain, c’est du moins ce qu’il pensait, refoulant tant bien que mal ses vieux démons qui le taquinaient fort gaillardement, démons de son enfance qui le poursuivaient depuis le jour où il découvrit une cassette vidéo cachée derrière la télé. Il s’en souvenait comme si c’était la veille. Il était accompagné de deux de ses meilleurs potes de classe, à peine trente ans à eux trois. Ils avaient visionné le film en cachette des parents, une aubaine pour des gamins qui ignoraient tout du sexe et qui étaient pressés de tout découvrir. Ce qu’ils virent était allé au-delà de leurs espérances. L’œuvre cinématographique pour peu qu’on puisse lui accorder ce qualificatif, était affligeante. L’héroïne, une chinoise à la poitrine démesurée, démontrait avec l’aisance d’une acrobate zélée, combien il était agréable de faire des galipettes avec deux types membrés comme des ânes et prêts à toutes les excentricités pour démontrer leurs talents d’acteurs et de ardeur.  Evidemment, l’après-midi s’était terminée par une partie de branlette collective au fond de la  cave où chacun des gosses fut amené à faire des comparaisons anthropométriques qui leur flanquèrent des complexes pour le restant de leurs jours. Ted se souvenait combien ils avaient ri de leur découverte et combien tout cela les avait émoustillés.

Un collègue le fit sortir de sa torpeur.

-          Ted ! Ton document  !

-          Ah, oui merci Charles.

-          Salut mon vieux et bon week-end. Petit véinard ! Tu vas retrouver la belle Christine, fit-il remarquer en lui envoyant une série de bourrades amicales.  J’en connais un qui va baiser à couilles rabattues.

Remarque embarrassa Ted.

-          Tu ne devais pas aller faire un stage chez Microsoft ?

-          Non, tant mieux. J’en avais pas très envie. Il est reporté au mois d’octobre.

-          Aller, salut

Ted quitta son copain, récupéra son document et retourna à son bureau.

-          « vol aller UA93 le 11-sept-2001 8h42 - Décollage de Newark. Retour Dimanche soir par la même compagnie.. Ok By by amigo et vive les grand week-end, Aller ! Je file»

Il quitta la boite avec plus d’une demie heure de retard, se rua dans le premier ascenseur venu. L’ascenseur se mit en marche dans un confort et un silence étonnant. Il lui restait environ une vingtaine d’heures avant de retrouvé Chris, passablement excité par la perspective de se revoir, impatient de s’aimer comme s’aiment les amants qu’une longue absence a séparés.

-          «  cette machinerie est vraiment étonnante se dit Ted, on ne sent pas les accélérations.

La porte s’ouvrit.

-  Qu’est que je fais ici, dit-il en ne reconnaissant pas le  rez-de-chaussée ?

Une porte de bureau était restée entr’ouverte. Ted s’y aventura, avança près de la baie vitrée, aperçut le tour sud, s’approcha d’avantage, eut un mouvement de recul face au vide profond qui s’ouvrait sous ses pieds. Une forêt d’immeubles au gigantisme galopant se dressait devant ses yeux émerveillés. La ville endossait sa robe tenue de soirée embellie d’une myriade de lumières enchâssés dans leurs écrins de béton. Ted admirait sa ville, la plus belle ville du monde, si impressionnante, si changeante et parfois si oppressante, une ville envahie par des légions de touristes souffrants de torticolis de circonstance, venus admirer la saisissante hauteur des tours du World Trade Center. 

-          Il faudra que je prenne une assurance vie. ça ne me fera pas mourir et ça protègera Chris. Je suis le roi des cons. J’aurai du y penser plu tôt.

Ted resta là un instant de plus à contempler la cité, ne pensant à rien d’autre qu’au plaisir qu’il ressentait, se dire qu’il avait enfin réussit, qu’il était reconnu comme le meilleur ingénieur de sala boite. Ted fit demi-tour, se dirigea vers le palier. L’ascenseur ne l’avait pas attendu. Il appuya sur le bouton d’appel. Attendit quelques secondes, appuya de nouveau, patienta. Rien ne se passa. Il pressa le bouton d’appel avec plus d’insistance. Rien, toujours rien, l’immobilité et le silence.

-          « Je garde mon calme comme me le dit América et j’attends que cette putain de porte veuille bien s’ouvrir.

Ted attendit jusqu’à ce qu’il ait atteint son seuil d’impatience. Il réitéra les appels, pressa rageusement le bouton qui refusait obstinément de s’allumer. Combien de temps lui restait-il pour se rendre à Grand Central Station. Le train de 19h50 était certainement parti. Tant pis il aura le suivant. Il se frotta le menton en faisant crisser une barbe de plusieurs jours.

Quelques minutes passèrent, Ted restait figé dans l’incertitude, incapable de d’opter pour solution quand il décida de descendre à pied par l’escalier de service. Il se dirigea vers une porte, l’ouvrit, tomba nez à nez avec des ballets brosse, la referma, en ouvrit une autre. Il y avait bien un escalier, sale et poussiéreux . Il franchit le seuil, déboucha sur un palier bétonné et gris, à l’odeur de ciment et d’humidité. Un faible éclairage lui permettait à peine de voir quand la porte se referma derrière lui dans un claquement qui résonna longuement dans la tour. Il sursauta mais n’y prêta pas vraiment attention. Se sentant pris au piège, il voulu ressortir, la porte s’était verrouillée d’elle même. Ted n’y attacha pas grande importance entreprit la descente. 

- « Presque une centaine d’étages. Ca va être assez pénible. … Je compte dix-sept marches par étage, ça fait…Non c’est vraiment idiot de les compter toutes….mille sept cents marches !

L’endroit était dénué d’intérêt. Ted s’arrêtait à chaque palier, essayait d’ouvrir le sas d’accès, hélas tous condamnés.

-          «  Soixante-six, soixante-sept, »

Il avait faim.

-          «  Je mangerai bien un steak et des frites bien croustillantes, boire une bière chinoise pas trop forte»

Une idée qui le fit saliver et qui ne le lâcha plus.

-          « Cent-treize, cent-quatorze, cent… Il faut que j’appelle Chris. Elle va s’inquiéter…. Vraiment cette América, quel boulot de chienne elle se tape…Nettoyer la crase des autres et être si mal payée….Ted se souvient de la fois où, pris d’une gastro-entérite impossible à endiguer, il fallut qu’il aille toute affaire cessante, aux toilettes alors que ce piffre de Mercury venait d’en sortir et combien il lui avait été difficile de ne pas fuir en courant dès la première respiration tant l’odeur qui s’en dégageait était abominable. Mais nécessité faisant loi, il du y rester contre vents et marées, avec au cœur l’impression répugnante de pénétrer dans un cloaque immonde. Un peu comme entrerait en purgatoire condamné à croupir pour éternellement dans une fosse d’aisance.

Ses pieds se posaient de plus en plus lourdement sur le sol et sa sacoche tirait sur ses bras

-          « Huit cent cinquante et un, Huit cent…Il se demandait combien de temps il allait rester dans ce trou sans fond……..

Quatre étages plus bas

-          « Environ mille sept cent, je compte une seconde par marche…ça fait une bonne demi heure. Il est peut-être neuf heures, davantage .!… Je ne voudrais pas être enfermé ici toute la nuit…. »

Ted se mit à chanter l’alléluia de Haendel gospelisé en imitant la voix d’Elvis Presley. Il trouvait que sa voix n’était pas aussi laide que voulait bien le dire Chris. Chanter, ça lui passait le temps et puis il trouvait cet air si beau…

Combien d’étages restait-il à descendre. Peut être une trentaine, davantage. Il tripotait machinalement sont mobile dans sa poche, passait le bout de ses doigts sur la matière plastique douces comme la peau de Chris. Il eut une pensée attendrie pour sa chère petite Chris, si charmante, si intelligente, si ceci, si cela…... elle qui avait à peine vingt deux ans.  Une vraie gamine…

Il s’énervait parfois contre elle, elle qui ne savait pas cuisiner, ne faisait aucun ménage, passait des soirées à lire des polars anglais et de la littérature française dans le texte. Et lui qui ne lisait que des bd et des revues de maquettistes aviation . Il lui aurait fallu des années pour lire un bouquin français….. et pourtant, il en avait fait quatre ans de ce foutu français qu’il trouvait si difficile à parler comme à comprendre. Il se souvenait d’une poésie d’un certain  Verlaine. Ted récita à voix haute le premier vers dans un français avec un fort accent du nord.

-          « Les sanglots longs des violons de l’automne, blessent mon cœur d’une langueur

Il faisait nuit sur l’ïle de Manhattan

«  Chris a les plus beaux seins de la côte Est. Ce qu’elle est bandante ! Mais qu’elle est bandante !… Quand je pense que c’est ma femme….. Elle est si jeune, trop jeune. Elle n’a jamais connu d’autres types que moi. C’est impensable, ça m’ennuie…. Elle ne sait pas ce qu’elle perd, peut-être que je ne la satisfais pas… Un jour elle voudra connaître autre chose.. des hommes puissants, des types membrés comme les frères Kennedy.. Je suis un mec ordinaire, avec une bite ordinaire et des possibilités tout aussi ordinaires, pas vraiment un don juan, pensa-t-il avec le même et récurent complexe…. Je te déteste, tu me fais honte se dit-il à lui même….Je m’en fiche, Je vais avoir un enfant, quel bonheur.    

22 février 2006

Premier chapitre d'une nouvelle "Week-end"

WEEK-END. 

Ted détacha de son éphéméride le feuillet n°10 du mois de septembre 2001, en fit une petite boulette de papier qu’il roula serrée entre ses doigts puis la lança en direction de la corbeille qu’il manqua comme à chaque fois. Il n’y avait pas plus maladroit que lui, gauche de ses deux mains, détestait le bricolage qui généralement  tournait à la catastrophe, se coupant, s’estropiant un doigt, une main transpercée par un clou, enfin Ted était du genre intellectuel bobo au sens pratique embryonnaire. Il inscrivit sur les feuillets suivants « congés jusqu’au lundi 16  inclus». La pendule de son PC marquait dix-sept heures trente. Il fit une pose,  sirota une tasse de thé un peu brûlante au goût artificiel de fraise des bois, affalé au fond dans son fauteuil au cuir usé jusqu’à la corde. Son voyage du lendemain le tracassait un peu. Il détestait prendre l’avion, ses craintes tournaient à la phobie à un point tel qu’il préférait se déplacer en train ou prendre sa voiture, heureux malgré tout d’aller rejoindre sa chère petite Chris qu’il n’avait pas revue depuis des mois. Ted  se balançait d’avant en arrière, les pieds appuyés contre le bord de son bureau en rêvassant, seulement préoccupé par les nombreuses tâches qu’il aurait à accomplir dès son retour.

Ted et Chris habitaient une grande maison de bois prêtée par le père de Ted, un retraité  parti finir ses vieux jours en Californie, un homme usé par la dure vie des forestiers. Il avait construit sa maison, une grande maison faite de gros rondins de bois d’épicéa, au charmante rappelant les maisons de bois polonaises, si bien décorées et si confortable à vivre. Le chalet était situé en lisère de forêt, à cinq minutes à pied du bourg. Chaque jour Ted prenait son véhicule, se rendait à la gare située à une heure de train de Manhattan. Cette séparation le rendait malheureux, la privait de sa femme, l’essentiel de leur vie de couple et des meilleurs moments de leur existence comme de leurs petites disputes passagères. La grossesse de Chris posait quelques problèmes suffisamment graves pour mettent en danger la vie de ce petit enfant à naître. Ils l’avait tant désiré, tant espéré. Ils eurent à recourir à l’insémination artificielle ? Ted était stérile, une infirmité lié à une maladie enfantine attrapée tardivement.  et dont il en ressentait un immense complexe, une incapacité masculine qui le blessait dans son amour propre. Par nécessité, Chris était parti s’installée chez ses parents, passait  le plus clair de ses journées alitée, sur une chaise longue ou sur un énorme matelas gonflable au bord de leur splendide piscine, chouchoutée par une mère débordante d’attention et d’amour maternel. Les parents de Chris résidaient dans la région sud de San-Francisco, habitaient une maison cossue sur les collines environnantes d’où l’on pouvait apercevoir la baie et le colossale Golden-gate.

Privé de sa femme, Ted se sentait désoeuvré, parfois un peu dépressif. Il n’avait pas le choix Il ne s’attardait plus le soir avec ses amis ou un bon collègue à boire un verre à la sortie du bureaux, ne profitait plus de la vie, ne voyait plus ses amis s’enfermait dans sa coquille et rongeait le frein de sa solitude. Son bonheur exclusif passait nécessairement par celui de sa chère et tendre épouse qu’il chérissait d’un profond et bel amour, un sentiment renforcé par l’absence. Arrivé le soir à son domicile dès lors qu’il mettait la clé dans la serrure, le silence pesant lui flanquait le cafard. Alors la morosité s’emparait de lui, l’entraînait dans une sorte d’abattement qui le rendait apathique, passant de l’ennui passif aux pensées morbides. Ted souffrait d’un mal être récurent qui s’aggravait à mesure que les semaines de solitudes passaient. Il pouvait restait des heures allongé sur son lit, ne pensant qu’à elle, imaginer ce qu’elle pouvait faire à cet instant précis, ce qu’elle ressentait, malgré les coups de fils qu’ils échangeaient chaque jour à grand frais. Depuis qu’il était seul, Ted ne cuisinait plus, se contentait d’une boite de mais ou d’un steak congelé, d’un potage déshydraté. Les minutes semblaient des heures et les heures n’en finissaient pas de s’égrainer au rythme trop lent d’un tic-tac d’horloge comtoise. Le bonheur idyllique de sa douce vie s’en était allé avec le départ de sa chère et tendre Chris et Ted se languissait d’elle.

Ce n’était ni les divertissements de sa  banlieue perdue ni les programmes télé qui auraient pu endiguer son état d’asthénie. Ted n’échappait pas à la logique de l’homme célibataire qui ne prête plus vraiment attention à la propreté de son intérieur comme à la netteté de ses cols de chemises, élimés, mal repassés. Ses pantalons étaient difformes, froissés, presque immettables. La maison était dans un état déplorable, la cuisine repoussante de crasse, n’offrait plus de place pour poser seulement une assiette dans un évier rempli de vaisselle sale. Quant au lave vaisselle, plus rien n’y entrait depuis plusieurs jours, les restes de nourriture collés aux assiettes se teintaient de moisissures suspectes. A la cave, le tas de linge grandissait de jour en jour. Une lessive oubliée pourrissait dans le lave-linge. Sa penderie n’offrait plus que des vêtements d’hiver alors qu’il faisait une trentaine de degré dès onze heures du matin. Décourager par les nombreuses tâches qui s’accumulaient et qui le répugnaient, Ted renonça devant un tel capharnaüm, passant plus de temps devant son home-TV qu’à se mettre à faire un peu de ménage. Il pouvait visionner pour la dixième fois un DV ou passait des heures sur son ordinateur à dialoguer sur le Internet à la recherche de d’échanges factices, un mail sympas le rassérénait. Passionné de wargames et de jeux de rôle il pouvait rester des heures devant son écran.  Ted était le genre de type à voir trois films dans la soirée, puis à s’effondrer de sommeil, calé entre deux coussins du sofa jusqu’à ce que la fraîcheur du petit matin le réveille.

Quand le vague à l’âme se faisait trop pesant, frustré d’amour et de tendresse, Ted réécoutait avec nostalgie la voix sensuelle et chaude de Billy Holiday, aux airs où se mêlaient mélancolie doux-amer et désespoir profond. Ted rêvait alors à cette femme si étonnante, une merveilleuse chanteuse. En ses instants de langueur et de complète frustration, Ted aurait fait l’amour à toutes les filles de la terre entière en ne voyant qu’au travers de ses pulsions  passagères,  sa Chris tant aimée. Le chat était neurasthénique, rentrait tôt le matin, un mulot dans la gueule en guise de cadeau alors que son maître oubliait trop fréquemment de le nourrir. L’aspirateur n’avait pas vu le jour depuis des semaines et les moutons s’amoncelaient sous les lits. Quant au frigidaire, il ne brassait plus que de l’air froid dans un vide à l’odeur de un peu écœurante de plastique renfermé. Nécessité faisant loi, l’estomac de  Ted  le ramenait à la raison. Alors, il montait dans son vieux pick-up, allait s’offrir un triple super-king-burger mayonnaise gorgé de cornichons sauce aigre-doux, largement dégueulant de ketchup consommé dans un petit fast-food populaire à l’enseigne géante d’un cornet de glace aux couleurs crues, ou bien allait déguster une pizza marguerita calibre XXL chez l’Italien du coin. Il y réservait toujours la même table, celle avec vue sur la salle d’où il prenait plaisir à observer les clients, la plus part obèses, des masses boudinées de graisses moulées par la pesanteur, des goinfres s’empiffrant de montagne de tortellini sauce tomate sucrée, ou de  pizzas noyées sous d’épaisses couches de fromage filant comme du gruyère français avec le goût en moins. Après s’être gavés comme des oies, ils étaient encore capables d’engloutissant d’énormes parts de gâteaux à la crème fraîche rappelant les fameux wedding-cake aux couleurs dragée de première communion, gloutonnerie effrénée allant remplir leurs hypogastres distendus à excès, énormes ventres distendus passant par dessus leur ceinturon qui ne servait plus qu’à éviter l’éventration, dégoulinades de graisse allant s’écraser mollement sur des cuisses aussi boursouflées que leurs penses. Ted observait ces machines à goinfrer avec autant de dégoût que de délice, épiais leurs tics, leurs gestes grossiers, leur  collait une étiquette par la seule observation de leur comportement, par leur manières de se tenir à table et par la vitesse à laquelle ils engloutissaient autant de nourriture trop grasse et trop sucrée, signes révélateurs d’une société qui n’a plus pour préoccupation que la surconsommation, sur-télévision, la majorité des américains crevant de suralimentation alors que les deux tiers de la planète souffrait du contraire, une situation étonnante pour des gens qui se réclament de la fois du puritanisme, de leurs bonnes action chrétienne, de la démocratie entre les peuples  et de la justice en ce bas monde.

Il n’y avait pas que ces gens adipeux qui l’intéressaient. Ted avait une certain plaisir à débusquer les couples illégitimes, impatients d’en finir avec leur trois spaghetti bolognaise à peine entamé, pour aller se repaître d’illégitimes baisers et de caresses adultérines dans une chambre de motel à bon marché alors que leurs conjoints se morfondaient de jalousie et d’inquiétude en se morfondant d’amour pour leurs infidèles époux. Il y avait aussi les tablées de familles aux enfants turbulents et brailleurs, leurs parents s’ennuyant placidement parce qu’ils n’avaient plus rien à se dire sinon d’échanger quelques considérations médiocres quant à l’avenir de leur progénitures, parlant de la  banalité un peu falotes de leur quotidien. Finalement des hommes et des femmes étrangers l’un à l’autre, ne vivant sous le même toit que par la nécessité de leurs responsabilités, de leurs énormes dettes et parce qu’ils n’étaient pas de bon ton, dans une petite localité pétrie de christianisme à l’américaine de divorcer, les liant l’un à l’autre tant que leurs marmailles s’envolent du nid.

Ted et Chris était un couple bien à part. Leur amour restait intact comme au premier jour de leur rencontre et ce ne sont pas les vicissitudes incontournables de la vie qui auraient pu éroder le puisant attachement qui les liait l’un pour l’autre. Ils venaient de fêter leur troisième anniversaire de mariage et bien qu’ils étaient si différents de caractère, ils s’aimaient et s’appréciaient autant pour leur complémentarité que par l’attrait physique qu’ils avaient l’un envers l’autre, unis par le puissant lien d’amour passionnel.

Mais si les vertus de la chasteté permettent aux amoureux d’honorer leurs promesses, les pulsions sexuelles atteignent des limites qui mettent en péril de tels engagements. La parole donnée  s’oublie rapidement là où commence un viscéral désir de faire l’amour, devient une idée fixe qui trotte dans la tête à longueur de journée, fait irrésistiblement tourner le regard vers tout ce qui ressemble à une femme, tout ce qui excite la libido refoulée.

Comme tout homme normalement constitué et privé de tendresse, d’amour et d’un simple besoin naturel, Ted souffrait de privations qui le minaient. Bien que son amour pour Chris soit grand, il était prêt à donner un coup de canif dans le contrat, seulement par le soucis hygiénique d’aller se vider les testicules trop gonflées par le désir à qui lui donnait parfois un mal violent aux parties génitales. Il aurait pu se soulager facilement mais la masturbation l’ennuyait, et préférait découvrir ce que pouvait être d’aller avec une prostituée.

Une nuit de grande solitude, alors qu’une bouillonnante envie de faire l’amour l’aiguillonnait depuis des heures, Ted pris le parti de mettre au rancard sa fidélité qu’il noya sous une chape de d’hypocrites excuses, se promettant de cacher la vérité à son épouse. Il se mit en quête d’une fille faisant commerce de ses charmes pour autant que ce genre de personne puisse justement en avoir. Ignorant tout en la matière, ses codes et de ses dangers. Ted partit un peu au hasard, loin de sa ville, par soucis de discrétion, éviter les commérages prêts à relayer abondamment les scandales. Plus ils étaient glauques et plus les esprits s’échauffaient, affabulant jusqu’à l’ignominie. Ted prit la direction  de Newton, une petite ville reculée au coeur du New-Jersay,  succession de bois et de forets sauvages épicentre d’une majestueuse beauté à la nature généreuse.

Ce soir là ce n’était pas exactement ce genre de beauté qu’il venait chercher ni l’objet de ses  préoccupations premières. Ted entra dans une bourgade où tout semblait s’être couché avec les poules et où les habitants n’avaient rien d’autre à faire qu’à sombrer dans l’endémique ennui de leur petite vie sans intérêt. Ted ne savait pas vraiment où aller, comment aborder une prostituée. Il n’en connaissait pas. D’ailleurs, il n’avait qu’une idée assez vague sur la question, celle qu’il avait appris au travers de ses lectures et de ses films. La ville n’offrait aucun divertissement et l’ambiance qui y régnait était à l’image de ses petites maisons simplettes, toutes identiques rappelant celles des corons des villes minières de l’Europe du nord où l’on crève du chômage et de la misère. Ted était entré dans l’unique bar resté ouvert à une heure tardive, avait commandé un Martini avec rondelle de citron. Le barman s’était approché de lui avec la tête du type qui se targue de tout connaitre en glissant  une confidence un peu vulgaire à l’oreille du client qui ne demande qu’à le croire.

-          Dis-moi mon gars, si tu cherches une fille pour la soirée, je peux te donner une bonne adresse. Il n’y en a qu’une mais une sacrée bonne adresse. Et tu seras pas déçu, non de Dieu de nom de Dieu ; dit-il en secouant une main à faire claquer ses doigts.

-          Heu ! Oui, je…pourquoi pas, dit Ted embarrassé par la proposition du serveur.

-          Tu ne trouveras rien dans ce bled pourri. Sorts de la ville et vas vers Port Jervis. Tu ne pourras pas le manquer. C’est à quelques kilomètres d’ici

-          Manquer quoi ?

-          Ben quoi ? Le studio 45

-          Je ne connais pas. Qu’est-ce ?

-          Tu ne connais pas le Studiot 54 ? Mais t’es un vrai pedzouille. C’était une boite branchée des années 70 au cœur de la cinquante quatrième rue. Le patron à repris ce nom pour sa boite. Tu y trouveras ton bonheur, mon vieux. C’est devenu un club un peu particulier. Le type qui tient l’établissement c’est un pote à moi. Il a inversé les chiffres, 45, 54. Tu vois ce que je veux dire ? devant, derrière si tu veux un peu plus de détails.

Ted écoutait avec attention, histoire de ne pas passer pour le dernier des crétins. Il n’avait jamais entendu parlé de ce film, ignorait tout de ce dancing très branché, ignorait tout du film « Studio 54 », but son verre, reprit la route en direction de Port Jervis.

C’était une belle et chaude nuit d’août. Le ciel était dégagé,  noir d’encre, constellé d’étoiles. Ted aperçut la traînée lumineuse d’une météorite passer devant ses yeux. Il sourit, fit un souhait comme le voulait la tradition. Il n’y croyait pas vraiment mais cela n’avait pas d’importance. Il fit malgré tout son vœu, celui d’avoir un beau petit garçon.  Il avançait sur cette route rectiligne, bordé de magnifique sapins, roulait à vive allure les deux vitres abaissées, se laissant griser par la vitesse autant par que par la perspective d’une soirée aux promesses excitantes. Studio 45 était fléché à droite. Il s’engagea sur une petite route de terre battue, roula un demi mile, gara sa voiture au parking du club. L’endroit détonait avec le calme environnant. Il se dirigea vers l’entrée d’un bâtiment à l’apparence de night club. Deux hommes au profil d’athlètes lui barrèrent le chemin.

-          Bonsoir, Monsieur. C’est deux cent dollars l’entrée si vous êtes seul, et si vous êtes accompagné d’une femmes la place est gratuite pour elle.

-          Je suis seul. Deux cents dollars, c’est très cher ! Je n’ai que cent cinquante sur moi. Dommage ! Je reviendrai une autre fois, dit-il en faisant demi-tour.

Les deux hommes se concertèrent un bref instant, revinrent vers Ted.

-          hep Monsieur, ne vous vexez pas. C’est  Ok pour cent cinquante. Vous pouvez  entrer.

Malgré le rabais consenti, Ted trouva la note salée mais  en accepta l’augure. L’un des deux hommes lui remit un ticket de boisson et lui souhaita bonne soirée. L’entrée était petite et sombre, un rideau de velours rouge sombre masquait un escalier plongeant d’où venait un air de swing de Lionel Hampton. En descendant les marches qui le conduisaient aux dancing il croisa une fille sculpturale, s’en ému. C’était une femme impressionnante de beauté, modelée par la grâce d’Aphrodite. Ted prit l’attitude du type blasé pour qui les filles n’étaient pas un problème, feint de ne pas la regarder, franchi un second rideau,  déboucha dans une vaste salle au décors chargé typique des maisons closes très  fin de siècle parisienne. Il y avait à sa droite un bar style rococo où était accoudés quelques consommateurs, peut-être des habitués. Sur la piste dansait deux femmes. Leur danse aurait pu passer pour inconvenante, mais la grâce qui se dégageait de ce couple harmonieux et sensuel les rendait encore plus attirantes et belles. Il y régnait une atmosphère étrange . L’odeur qui s’en dégageait l’était tout autant. Un mélange d’odeurs de transpiration mêlées à des parfums de femme, des odeurs de fumées opiacée des fumeurs de marijuana. Ted hésita un instant, intimidé, sur ses gardes, ne sachant quelle attitude prendre, se fit le plus discret possible. Il chercha une solution de repli stratégique, se dirigea vers le bar et s’y installa, très inconfortablement,  sur le coin d’un tabouret trop grand pour lui. Il se  campa dans une attitude faussement désinvolte qui lui provoqua une violente crampe dans la cuisse gauche.

-          Qu’est-ce que je te sers l’ami ?

-          Je ne sais pas, Un martini !

Le barman, un bel homme très noir à l’allure féline, un corps musclé et galbé dans un pantalon moulant ; montrant avec une ostentation patente un sexe d’une taille anormalement développé, lui tendit un verre rempli de martini et de glace pilée. Ted lui remit son ticket.

-          Eh, mon gars, on voit bien que tu n’es pas un habitué de la maison. Ici, le premier verre est gratuit. Garde ton ticket pour la fin. Tu en auras besoin, je peux te l’assurer. C’est la première fois que tu viens ici, je ne t’ai jamais vu dit-il en le détaillant du coin du regard.

-          Oui. dit Ted timidement.

-          Tu es beau garçon. C’est comme tu veux mon grand. Cela dépendra de ce que tu es venu y faire. Il y a tout ce que tu désires, des brésiliennes, des blacks, des filles, des couples, des maris qui prennent leur pied à voir leurs femmes se faire baiser par d’autres types. Si tu veux un conseil d’ami, attends sagement qu’on t’invite, c’est la meilleure chose que tu puisse faire et tu ne seras pas déçu.

-          Merci Monsieur.

-          Ici, personne ne m’appelle Monsieur, moi c’est Jorgi

-          Excusez-moi Jorjy

Pour se redonner un peu de courage, Ted vida son verre d’un trait. L’alcool fit effet rapidement, l’enivra agréablement. Il fallut qu’il aille aux toilettes.

-          C’est à gauche avant la sortie.

-          Ah merci, surpris que ce type ait pu deviner si facilement son envie.

En sautant de son tabouret, Ted sentit ses jambes mollir et sa tête lui tournait légèrement. Il se dirigea vers la sortie, entra aux toilettes. Il n’y avait pas de séparation entre celles des hommes et celle des femmes. Il trouva cela curieux, presque inconvenant. L’endroit était assez propre et coquet, deux types urinaient l’un à côté de l’autre quand Ted s’aperçut qu’ils se masturbaient réciproquement. Choqué autant que surpris, Ted fit mine de n’y prêter aucune attention, eut envie d’en rire, alla s’isola pour uriner. Il détestait uriner sous le regard des autres, ça le bloquait. Qu’on puisse le surprendre en train de pisser lui coupait immédiatement son écoulement. Il trouva son sexe petit, tira dessus comme si d’un coup de baguette magique, la taille de son pénis allait s’allonger de vingt centimètres, un vieux complexe qu’il traînait depuis l’enfance. En revanche, il jugeait ses testicules trop grosses,  aurait préféré le contraire, mais la nature ne lui en  donna pas le choix. 

Il redescendit au bar. La musique avait changée, plus douce, plus feutrée quant la fille qu’il avait croisée en entrant s’approcha de lui, le prit par la main et l’entraîna sur la piste. Elle avait quelque chose de troublant et de très excitant à la fois, avait une poitrine de rêve. Elle se colla à lui en l’entraînant dans une danse au mouvement lascifs. Ted se risqua à coller timidement sur joue contre la sienne. Immédiatement, elle lui rendit un baisé sur les lèvres, sentit pénétrer sa langue douce et humide lui caresser les dents. Sa  fougue le surpris un peu, se laissa prendre par la volupté de l’instant, lui rendit son baisé avec une fougue qu’il ne se connaissait pas. Son haleine était un peu chargée d’alcool, son parfum l’envoûtait, l’excitait davantage. Ted ressentit une forte érection, se décolla d’elle un peu par pudeur, ne voulant pas précipité ce qui devenait inéluctable. Sa partenaire s’en aperçut, en profita pour se plaquer contre lui en lui caressant l’entre jambe d’une main aussi experte que douce puis l’embrassa à nouveau avec application et délice quand brusquement Ted sentit un sexe d’homme se frotter contre le sien. Il recula d’un bond, les yeux effarés, choqué et humilié, repoussa violemment la fille ou le travesti, il ne savait plus, l’autre chuta en hurlant des insanités

-          Tu n’es qu’un petit con. Je te sentais pourtant très excité quand je te caressai ta petite queue. Elle n’est pas très grande mais elle est raide comme de l’acier.

-          C’est, c’est différent. Je ne savais pas que tu était un homme en femme enfin un pédé, un travelo.

-          Tu veux dire un type qui aime se faire enculé par d’autre mecs et qui prend son pied. Tu n’es qu’un idiot. Tu ne sais pas se que tu manques. Il faut essayer avant de juger. Petit trou du cul de refoulé. Va baisé ta femme et casse-toi

-          Espèce de sale pute …

Mais avant que Ted ne s’énerve, deux videurs l’agrippèrent puis le jetèrent dehors sans ménagement.

-          Ici, on ne se bât pas. Ne remettez plus les pieds chez nous. Vous n’avez pas le genre ni les moyens.   

Furieux d’avoir été abusé par un travesti et un peu molesté par de gros bras, enfin traité de petit trou du cul refoulé, tout cela le mit hors de lui. Il remonta dans sa voiture écumait de rage, envoya des coups de poing sur tout ce qui était à sa porté, démarra comme un dément en hurlant sa hargne contre l’escroquerie dont il était victime, dévala la petite route empierrée à tombeau ouvert en soulevant un épais nuage de poussière blanche quand une subite angoisse l’envahit. Le sida ! Il allait attraper le sida. En une fraction de seconde sa fureur se transforma en angoisse incalculable. Il se voyait gisant sur un lit d’hôpital, crachant le sang fétide de ses poumons gangrenés, pensant à Chris et à son enfant eux aussi atteints par le mal, viré de son job , mis au chômage pour maladie grave. Son esprit n’était plus que succession d’images catastrophiques, idées noires, avenir morbide. Après une heure de route infernale émaillée de pensées apocalyptiques, il arriva à son domicile, la bouche sèche, les tripes nouées, alla directement à l’armoire à pharmacie attrapera un flacon d’alcool pure, en bu quelques lampées s’en rinça méticuleusement la bouche, la langue, se gargarisa puis s’en aspergea le sexe et les parties génitales, jusqu’à ce que de cuisantes brûlures causée par l’alcool le fasse hurler de douleur ; La minute suivante il se retrouva à califourchon au-dessus de la baignoire, la douchette braquée sur son entrejambe, s’aspergeant le sexe et les testicules à grand coup de jets d’eau glacé. Les brûlures diminuèrent mais les angoisses augmentèrent. Pris d’une panique folle, il se rhabilla à la hâte et se rendit au laboratoire d’analyse médicale le plus proche de son domicile. Il devait être à peine six heures du matin, carillonna jusqu’à ce que la gardienne de l’immeuble lui ouvre la porte. Ted s’excusa de son arrivé si matinale, demanda à passer un test HIV de toute urgence. La vieille dame conciliante le fit entrer en lui demandant de bien vouloir patienter dans la salle d’attente jusqu’à l’arrivée du personnel médicale. 

-          Clamez-vous ! Le labo n’ouvre qu’à sept- heure.  On n’attrape pas le sida comme ça. Il faut une pénétration anale ou vaginale, dit elle. Allez vous calmer sur ce divan, je vous apporte une tasse de café.

Un bonne heure s’écoula. Ted n’avait de cesse de consulter sa montre, puis feuilleta quelques  magazines sans intérêts, consulta des revues médicales qui lui augmentèrent la peur de ce qu’il redoutait.

Enfin, les premiers clients arrivèrent, la salle se remplit rapidement. Une secrétaire médicale entra.

-          Monsieur Ted Chenail ! Ah c’est vous. Entrez en cabine 4, une infirmière va vous prendre. Avez-vous eu des rapports avec un autre homme ?

Rouge de confusion, Ted se serait glissé dans le trou de souris. Il répondit à voix basse

-          Non, non, rien de tout cela.

-          Alors ça ne presse pas. Avez-vous avalé du sperme ?

Du pourpre il passa au violet. Ted transpirait comme une dinde qu’on faisait griller au four, ravala la dernière goûte de salive.

-          Je vous en prie, parlez plus doucement.

-          Que je parle plus doucement mais pour quoi faire ?

-          Ils vont nous entendre !

-          Cela ne me gêne plus depuis le temps que je fais ce boulot, j’ai l’habitude . Monsieur Chenail. Aller en cabine quatre ? Garder le slip sauf si on vous demande de le retirer.

Ted ne comprit pas pourquoi il fallait se déshabiller pour passer un test HIV et pourquoi il devait consulter une infirmière puis un médecin. Il fut reçu par une femme qui l’ausculta avec professionnalisme, lui posa quelques questions simples mais fort embarrassante, dut répondre avec force détails fit enfin une prise de sang et fut mis en garde.

-          Il va falloir coûte que coûte que vous préserviez la vie de votre femme et celle de votre futur enfant. Vous utiliserez des préservatifs solides et vous en changerez à chaque rapport. Il serait bon que vous préveniez votre épouse. Vous serez définitivemenr rassuré dans quelques mois.

-          Oui. non. Enfin, sa colère va être terrible !.

-          Vous auriez du y réfléchir avant. Maintenant il va falloir que vous attendiez au moins quatre semaines pour être sûr à quatre-vingt pour cent, savoir si vous êtes porteur du virus.

-          Ne peut-on pas accélérer les tests ?

-          C’est impossible, les résultats sont obtenus en vingt quatre heures mais le virus peut incuber plusieurs semaines, voir des mois. Dans trois mois vous repasserez ces mêmes tests. On en saura davantage et préservez-vous quand vous aurez des rapports sexuels

Les semaines qui suivirent lui firent regretter amèrement sa soirée de débauche manquée qui devint le souvenir le plus désagréable de son existence. Ted passait sans transition ni discernement de l’optimisme béat à la plus grande déréliction jusqu’à ce qu’il puisse enfin passer les tests qui se révélèrent négatifs.

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